Sur les héros prolétariens

Chères lectrices, chers lecteurs,

Nous vous invitons à participer à l’événement en l’hommage de Pierre Overney, ouvrier maoïste tué par la milice patronale à Renault le 25 février 1972. Cette année, cet événement aura lieu à partir de 10h30 au Métro Père Lachaise, à Paris, le 26 février 2023.

Pour honorer la cause des héros du prolétariat, qui sont tombés pour son triomphe, nous choisissons de partager des pages de Marcel Villard. C’est un membre du Parti Communiste, mort en 1956. Son livre “La Défense accuse… : de Babeuf à Dimitrov” fait l’éloge d’un résistant communiste bulgare face au fascisme dans son pays : Jurdan Lutibrodsky. Il aborde dans ce livre de nombreux autres exemples du monde entier : Albanie, Allemagne, Roumanie, Côte d’Ivoire, France… Mais nous avons décidé de partager celui de Lutibrodsky car son courage a été mis en avant lorsque sa dernière lettre à son père a été diffusée à des milliers d’exemplaires et que son nom a été mentionné au 7ème Congrès de l’Internationale Communiste

Ce qui suit est un extrait :

Condamné à mort en décembre 1934, l’ouvrier Jurdan Lutibrodsky a été exécuté fin mai 1935 dans la cour de la prison de Varna.

Avant l’exécution, la dictature avait osé lui proposer un marché honteux : s’il déclarait regretter son activité révolutionnaire, y renoncer et inciter ses camarades à faire de même, il serait récompensé. Comment a-t-il réagi à cette humiliation suprême ? Comme un bolchevik. Comment a-t-il répondu à son père qui, désespéré, lui demandait de se soumettre ?

Il nous suffit de reproduire, sans commentaire (tout commentaire ne pourrait que la rabaisser) la lettre qu’il a écrite :

Prison de Varna, 3 mai 1935.

“Cher Père !

J’ai reçu votre lettre il y a quelques jours. Vous me conseillez de tout faire pour échapper à la potence. Et vous écrivez : “Fais-le aujourd’hui, car demain il sera trop tard”. Ne comprenez-vous pas que cette proposition n’est pas le salut mais une mort certaine, même s’il me reste la vie ? Pour que vous compreniez cela, il est nécessaire d’examiner la question en profondeur. Actuellement, la bourgeoisie a réussi à porter des coups sévères au prolétariat et à son parti. Mais cela signifie-t-il que la domination de la bourgeoisie est stabilisée et que la victoire finale n’appartient pas au prolétariat ? Non ! Si ce n’est pas aujourd’hui, du moins demain, le prolétariat vaincra la classe moribonde et, grâce à son parti, fera avancer le développement de la société humaine. Nous, fils de cette classe montante et membres de son avant-garde consciente, nous ne devons pas craindre pour notre vie et sacrifier, pour cela, le prestige du Parti.

Quel besoin avons-nous de notre vie, Père, s’il nous appartient de rester des cadavres vivants à l’aide desquels la classe réactionnaire en déclin s’efforcera de faire dépérir les rangs du prolétariat révolutionnaire et se servira de moi, qui aurai cessé de vivre, pour prolonger sa propre existence ? Non ! Je préfère mourir et rester vivant dans le cœur de ma classe ! Mieux vaut mourir que d’être un cadavre vivant et puant !

Bon, me direz-vous, mais pense à Mara et Ilitch [1]. Que feront-ils sans toi ?”. Je pense beaucoup à eux, mon père. Moi-même, je ne sais pas comment leur exprimer mon amour. Quand je pense à eux, une immense amertume s’empare de moi et je sens comme du plomb dans ma poitrine. Une souffrance qui m’oblige à serrer les dents si fort qu’elles grincent, et pourtant à me promettre de résister, de conserver mes forces et de continuer à lutter jusqu’au dernier moment, soulevé contre la classe qui est responsable, non seulement du fait que mon Ilitch n’a pas vu son père et que ma compagne reste sans moi, mais aussi, du fait que des millions d’autres familles doivent vivre dans la misère, les privations et la faim.

Devant les millions de chômeurs, devant le danger d’une nouvelle guerre [Note : se réfère à la guerre mondiale impérialiste], dont le cerveau humain ne peut concevoir l’horreur, devant les millions de victimes qu’elle massacrera, non seulement parmi les soldats, mais encore parmi les femmes et les enfants, car les gaz asphyxiants, les bacilles de la peste et du choléra ne choisissent pas de victimes, devant toutes ces horreurs, que le capitalisme nous apporte et nous apportera encore, de quel droit donnerais-je à l’ennemi une arme contre nous tous, dont il suce le sang ? Non ! Je ne peux pas le faire ! Pour cet état maudit du capitalisme, je ne vois pas d’autre issue que celle indiquée par mon Parti et cette issue mène à la libération économique et politique complète du prolétariat et des travailleurs. Ma vie a été une lutte, une lutte pour imposer cette solution. Et si la bourgeoisie bulgare entend me condamner à mort, cela signifie que je suis resté un fils fidèle de ma classe, un fils fidèle de mon Parti. Et cela vous suffira, à Ilitch et à Mara. Oui, la mort ; mais Ilitch saura pourquoi son père s’est battu et est tombé dans ce combat ; il saura qu’il a préféré tomber dans le combat que de se couvrir de honte, de grouiller sur vous, et sur ce fils que je n’ai jamais vu. C’est vrai, c’est dur de s’attendre à la mort à tout moment, de frémir au moindre bruit, de compter leurs pas… Les voilà, ils viennent vous emporter. Votre cœur bat à tout rompre. Mais les pas s’éloignent et vous tombez sur le lit, comme un fruit mûr qui tombe de l’arbre. Et les nerfs ne le supportent pas… Et on appelle la mort, la mort salvatrice. L’agonie est terrible, la mort ne l’est pas !

Et, précisément à ce moment-là, l’ennemi essaie de me faire rejeter toute mon activité passée. Et vous savez, Père, qu’il a déjà essayé plusieurs fois cette tentation pour pouvoir triompher ensuite : “Voyez ! Encore un fils prodigue qui revient à la raison, qui regrette ce qu’il a fait !”. C’est par de telles ignominies que l’ennemi veut affaiblir la foi dans le Parti et prolonger l’existence de cette classe nuisible à la société. Non, je ne participerai pas à ce jeu ignoble !

Cela ne signifie pas pour autant que je me laisserai faire sans rien faire. Bien sûr, tout doit être fait pour me sauver. Mais attention à ne pas donner à l’ennemi des arguments contre le Parti. Le mieux est de mobiliser l’opinion publique contre ma condamnation à mort.

Je marcherai calmement et joyeusement vers la potence avec la conscience de n’avoir, dans ma courte vie consacrée à la lutte pour la liberté, souillé ni le nom de mon Parti, ni votre nom.

Et, avec la corde autour du cou, je vous crie : Tête haute, père, femme armée, mon fils que je n’ai jamais vu ! Camarades, en avant ! Bien que payée de durs sacrifices, la victoire est à nous ! Celui qui est prêt aux sacrifices aura la victoire ! Physiquement morts, les combattants vivront dans la conscience du prolétariat victorieux. Et leurs enfants récolteront les fruits de la lutte que leurs pères ont menée. Toi aussi, mon petit Ilitch, que je ne peux embrasser ni pour la première ni pour la dernière fois.

Jurdan Lutibrodsky.”

Ce chef-d’œuvre de dignité, de noblesse révolutionnaire, a été diffusé dans tout le pays à des milliers d’exemplaires. Quoi de plus éducatif pour les nouvelles générations combattantes ?

Et comment est mort Lutibrodsky ? Devant la potence, il a crié son mépris de la dictature et sa foi dans la victoire finale de la cause du peuple. L’émotion générale a contaminé le procureur civil lui-même, qui a maudit en larmes la justice militaire pour lui avoir confié cette “sale besogne”.

Comme Dimitrov avait raison à Leipzig quand il proclamait sa fierté “d’être le fils de la classe ouvrière bulgare, qui lutte si courageusement contre le fascisme et pour le communisme [2]”.

[1] La femme de Lutibrodsky et son fils né après son arrestation, respectivement.

[2] G. Dimitrov : Lettres, notes et documents, p. 123.

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